Le Revenue Management de Destination (RMD) est une méthode d’intelligence économique destinée aux organismes de gestion des destinations (OGD). Si l’intelligence économique se définit comme «l’ensemble des concepts et méthodes pour une prise de décision informée d’arguments factuels» (Power, 2007, p.128), son application à l’industrie touristique suscite quelques interrogations : le produit commercialisé est un système complexe appelé destination (d’Angella et al., 2010), et la forte fragmentation du marché restreint la capacité de chaque acteur individuel à observer les fluctuations de la demande. Le revenue management de destination, imaginé et mis en œuvre par la société française RMD Technologies, est une réponse à cet enjeu d’une intelligence économique au service d’une gouvernance de destination et de ses socio-professionnels.
Le modèle développé par l’université de Saint Gall (Beritelli et al., 2015) modélise ainsi les flux de visiteurs à destination, dans le but de faciliter l’action des institutionnels (conception d’itinéraires répondant aux souhaits des visiteurs…). Les opérateurs de téléphonie proposent quant à eux des données massives permettant aux OGD de mettre en évidence des points d’origine et d’arrivée des flux de visiteurs, de distinguer entre excursionnistes et touristes, et donc d’apporter des preuves quantifiées de l’attractivité de leur destination (Berlingué et Contet, 2017).
Pour autant, les enjeux de l’intelligence économique dépassent la seule justification d’une efficacité de l’action publique. Dans la droite ligne du Nouveau Management Public (Hood, 1991), les OGD sont en effet désormais considérés «redevables» (Huron et Spindler, 2019). Il leur faut pouvoir quantifier leur action en matière de promotion, d’accueil, d’information et de coordination des socio-professionnels par des mesures de flux physiques ou autres baromètres de popularité d’une destination sur les réseaux sociaux, etc
Pour une destination, les enjeux de l’intelligence économique dépassent la seule justification d’une efficacité de l’action publique.
Par de telles observations, l’OGD n’est pour autant pas en mesure d’apprécier l’efficacité de son action, c’est-à-dire par exemple d’établir une relation causale entre une campagne promotionnelle et la décision d’un touriste de visiter une destination.
Un véritable outil d’intelligence économique doit permettre à l’OGD, par l’étude les volumes de réservations par région d’origine des clients, de mettre en évidence les principaux foyers d’origine de réservations qui à ce titre doivent mobiliser leurs efforts promotionnels. Dans le cas illustré ci-dessous (Ill. 1), l’étude des réservations dans les campings de Charente-Maritime par région d’origine de la clientèle française incite à concentrer son action de promotion sur les régions de l’arc atlantique (Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Bretagne), plutôt qu’à déployer de manière indiscriminée de coûteuses compagnes de communication sur les réseaux sociaux ou dans le métro parisien.
Quelles informations sont véritablement de nature à faciliter une prise de décision optimale par les OGD et hébergeurs (prix de vente d’une chambre, promotion ciblée de la destination…)? Outre les données contextuelles (conditions météo, calendrier des événements culturels…) et celles relatives à l’état-civil du voyageur, ce sont surtout des données comportementales qu’il faut pouvoir observer: à quelle date le voyageur effectue-t-il sa réservation, pour quelle date et quelle durée de séjour, quel type d’hébergement choisit-il, et à quel type de tarif (flexible ou non annulable)? Ces flux de données contiennent en effets les précieuses primitives informationnelles (Pigni et al., 2016): qui voyage, quoi, quand, où, pourquoi et comment? (Ill. 2)
L’étude des données de réservation d’un hébergeur (Ill. 3) permet de retrouver ces primitives. Leur agrégation sur plusieurs années successives, et sur un nombre suffisant d’établissements d’une même destination, confère une aptitude à prévoir des événements à venir. Si, par exemple, l’on constate un retard dans le rythme habituel de montée en charge des réservations (Ill. 3, colonne D) pour un segment de clientèle spécifique, ne faut-il pas envisager une campagne promotionnelle ciblant ce même segment, de manière à en stimuler la demande?
Au sein d’un outil d’intelligence économique, les données doivent satisfaire à des conditions de vélocité, de fiabilité et de représentativité (Baggio, 2016). Particulièrement critique, le degré de latence (Hackathorn, 2002) des flux de données numériques (Ill. 4) utilisés déterminera la capacité à prendre une décision en réaction à un changement dans le comportement de la demande. On peut distinguer une composante de latence dans la capture (délai entre la manifestation de l’événement et la transcription de ses primitives sous forme de données numériques), dans l’analyse (délai à la transformation des données en informations – suis-je en avance ou en retard par rapport à l’an dernier à la même date en matière de réservations reçues?), et enfin d’une latence dans l’utilisation (délai entre disponibilité de l’information et la prise de décision).
On peut distinguer une composante de latence dans la capture (délai entre la manifestation de l’événement et la transcription de ses primitives sous forme de données numériques), dans l’analyse (délai à la transformation des données en informations – suis-je en avance ou en retard par rapport à l’an dernier à la même date en matière de réservations reçues?), et enfin d’une latence dans l’utilisation (délai entre disponibilité de l’information et la prise de décision).
Ce phénomène de latence permet de mettre en évidence deux stratégies possibles et complémentaires en matière d’exploitation des flux de données. La première consiste à produire de la valeur en prenant des décisions sur la base de flux de données en temps réel: par exemple, décider d’une campagne publicitaire ciblée via les réseaux sociaux, lorsque les données montrent un retard dans la prise de réservations émanant d’un foyer d’origine spécifique (clientèle belge…). La seconde stratégie vise plutôt à extraire de la valeur par l’analyse de multiples flux de données. Par la comparaison entre plusieurs années successives de la montée en charge de réservations d’hébergement, il s’agira par exemple de produire des algorithmes permettant de prévoir un niveau de demande pour une date à venir (Schwartz et al., 2016). Dans cette seconde stratégie, l’analyse permet de progressivement construire une vision affinée de la demande à venir.
L’industrie touristique est fortement fragmentée: quelque 18.000 hôtels en France, les deux-tiers d’entre eux n’étant pas affiliés à des groupes hôteliers (Coach Omnium, 2020), près de 8000 campings… pour ne parler que des hébergeurs. Dans une telle structure de marché, chaque prestataire ne dispose que d’un infime pouvoir de marché et, par conséquent, a accès à une information très limitée sur la demande.
L’Internet, principal outil pour l’organisation et la commercialisation de voyages (Echo Touristique, 2020), facilite en outre la concentration des intermédiaires entre offre et demande: agences de voyage en ligne, plateformes communautaires, moteurs de recherche. C’est ainsi que Booking.com, dont la part de marché en Europe est estimée supérieure à 30% (Caccinelli et Toledano, 2018), dispose d’un pouvoir de marché lui permettant d’extraire une valeur considérable des flux de données de réservation.
Le marché touristique doit donc être considéré comme un «marché biface» (Evans, 2003), où les intermédiaires (OTA comme Expedia ou Booking.com; plateformes communautaires comme Airbnb ou Abritel…) opèrent comme des plateformes vendant simultanément des services de nature différente aux deux faces du marché. Le volume de demande émanant d’une des faces du marché (les hébergeurs) dépend du niveau de demande de l’autre côté du marché (les voyageurs se rendant sur la plateforme pour louer un hébergement), et vice-versa. Les hébergeurs ne sont disposés à payer une commission pour les services de la plateforme que s’ils sont certains que grâce à elle ils pourront accéder à des acheteurs. Le modèle d’affaires de ces intermédiaires exige par conséquent de savoir attirer simultanément hébergeurs et voyageurs sur sa plateforme, en garantissant à tout moment et pour toute destination une offre abondante d’hébergement, tout en s’assurant d’un flux permanent de visiteurs sur son site de voyageurs en quête d’offres à bon prix.
L’industrie touristique, fortement fragmentée, est un marché «biface», contrôlé par des plateformes de distribution génératrices de biais d’intermédiation conduisant à des prises de décision non optimales par les hébergeurs et les OGD.
Les plateformes bénéficient en effet d’une asymétrie informationnelle aux dépens de chacune des faces du marché. Elles sont génératrices d’un biais d’intermédiation (Calvano et Polo, 2021) en fournissant aux hébergeurs des recommandations (veille tarifaire sur les concurrents présumés, tendances de la demande), dont le véritable objectif n’est pas de fournir une intelligence économique pour une décision optimale (prix de vente d’une chambre…), mais de garantir à tout moment sur la plateforme une offre abondante de chambres proposées à prix promotionnels. Si les plateformes de distribution garantissent grâce à leurs investissements importants (Booking.com a consacré à la publicité en ligne (pay per click, metasearch, affiliation…) les budgets suivants: 4,42 milliards de dollars en 2019, contre 4,44 en 2018, 4,14 en 2017 et 3,48 en 2016 (ARTIREF, 2020)) une excellente visibilité aux hébergeurs, il n’est pas dans leur intérêt de transmettre à ces derniers les meilleures recommandations stratégiques (détermination du prix d’une chambre…).
La relation hébergeur-plateforme – et par extension la relation destination-plateforme – doit par conséquent être analysée comme une relation principal-agent avec sélection adverse (Akerlof, 1970), où l’agent (la plateforme, le moteur de recherche) bénéficie d’un avantage informationnel. Les services proposés par les plateformes aux hébergeurs – référencement, visibilité, etc. – (Autorité de la Concurrence, 2015) sont fondamentalement inconciliables avec une promesse d’aide à la décision dans l’intérêt de l’hébergeur, notamment en matière d’anticipation de la demande et de détermination des prix.
Ainsi, l’observation est devenue la prérogative de facto de plateformes aux intérêts ne convergeant pas nécessairement avec ceux de la destination et de ses socio-professionnels. Le Revenue Management de Destination (RMD) est une réponse à cette structure du marché touristique privant hébergeurs et OGD de la possibilité d’observer la demande pour piloter une stratégie commerciale.
Le revenue management est une stratégie de prévision, d’optimisation et de contrôle des capacités, des prix et du revenu des entreprises de services (hébergeurs, compagnies aériennes…) disposant d’actifs périssables, de capacités contraintes (stocks non extensibles) et soumises à une demande fluctuante. Le revenue management adresse trois questions majeures; la prévision de la demande, la modélisation de la demande et l’optimisation tarifaire (Yeoman, 2016). La capacité à collecter et analyser des données de réservation est un préalable fondamental à l’exécution de toute stratégie de revenue management, et trois types de données peuvent être distingués: les réservations passées, les réservations nouvellement reçues, et les données rendant compte de phénomènes susceptibles d’affecter le volume de réservations (météo, événements à destination…).
Dans le but d’accroître la précision des modèles de prévision de revenue management hôtelier, la recherche a tenté d’intégrer d’autres types de données. Ainsi, Schwartz et al. (2016) ont suggéré que les établissements d’un même espace concurrentiel fassent connaître aux autres leurs stratégies. Les données ainsi partagées sont ensuite utilisées comme données d’entrée pour les prévisions futures de chaque établissement. L’intuition sous-jacente est qu’une prévision gagne en exactitude si elle est formulée en tenant compte non seulement de données individuelles passées (le comportement passé de la demande) ou présentes (montée en charge en temps réel des réservations), mais également de données collectives.
Bien que cette suggestion présente l’avantage de tenter d’adresser le problème de la prise de décision imparfaite dans un secteur de l’hébergement fortement fragmenté, elle soulève également deux questions. La première concerne la question de savoir si les prévisions fournies par les fournisseurs d’hébergement individuels sont les flux de données les plus pertinents pour améliorer la précision. N’est-il pas préférable d’utiliser des flux de données capturant des primitives (Pigni, 2016) capturant des éléments comportementaux tels que la date de réservation, la durée du séjour, le type de service, la taille du groupe, etc. La seconde objection est liée aux questions de confiance inhérentes au partage d’informations entre les membres d’un ensemble concurrentiel. Pour y consentir, chaque hébergeur individuel doit accepter que son consentement au partage d’information est la contrepartie nécessaire à une prise de décision mieux informée. Il doit également être disposé à confier l’extraction des données au sein de l’ensemble concurrentiel à un tiers digne de confiance.
En lieu et place d’une plateforme, source de biais d’intermédiation, une destination – collectif de socio-professionnels, dont les hébergeurs – requiert donc un agent intelligent (Sheehan et al., 2016) à qui incombe l’accumulation à l’échelle collective des flux de réservations, dont il extrait des prévisions (de demande) qu’il communique ensuite aux socio-professionnels afin qu’ils en tiennent compte dans la détermination de leurs stratégies individuelles.
Le Revenue Management de Destination consiste à enrichir la stratégie de revenue management d’un hébergeur ou d’une destination dans son ensemble, par l’incorporation dans les modèles de prévision – sans aucun biais d’intermédiation – d’une capacité à prévoir la demande future à l’échelle de la destination dans son ensemble.
Le Revenue Management de Destination consiste à agréger à l’échelle d’une destination les données permettant d’anticiper la demande à venir. Cette technologie d’intelligence économique permet ainsi à l’OGD, tiers de confiance de la destination, de guider les socio-professionnels tout en pilotant l’offre de destination dans son ensemble.
En choisissant d’incarner ce rôle d’extraction de flux de données à fin d’intelligence économique (Béal et al., 2021), l’OGD, tiers de confiance en charge de la défense de l’intérêt général de la destination et de ses composantes, constitue un capital social informationnel de la destination. Outre l’inventaire détaillé, exhaustif et à jour, des composantes de l’offre touristique (hébergements, événements, attractions…), ce capital informationnel inclut la connaissance en temps réel de la demande (saisonnalité, fenêtres de réservation par segment de clientèle, comportement d’achat à destination…).
L’OGD peut de la sorte s’affirmer comme un agent intelligent de la destination (Sheehan et al., 2016), capable par exemple en matière de promotion, de mobiliser ses ressources sans aucun effet de latence sur les couples foyer d’origine-fenêtres de réservation les plus contributifs. L’OGD exploite ce capital social informationnel pour garantir la compétitivité et la pérennité de la destination (Ritchie et Crouch, 2003), notamment en pilotant l’offre de destination dans le temps et l’espace (attractions, événements, infrastructures, hébergements…).
Mentionnons comme exemple de technologie d’intelligence économique à disposition d’un tiers de confiance (OGD, fédération départementale HPA, etc.), celle développée par la société rochelaise RMD Technologies, fondée par Jean Laherrere, un revenue manager spécialisé dans l’hôtellerie, et dont un des outils est représenté en illustration 6. Pour la destination de référence dans cet exemple, les données brutes anonymisées de quelque 60 hébergeurs sur plusieurs années sont collectées et analysées et représentent quelque 2,5 millions de réservations. Comme représenté dans la figure, l’hébergeur individuel est en mesure de comparer sa performance à venir avec celle de la destination ; il peut ainsi prendre des décisions sereines (par exemple, réduire son prix pour une date à venir s’il est retard par rapport à la destination). Si par contre l’outil montre que le retard concerne la destination dans son ensemble, c’est l’OGD qui déploiera les actions promotionnelles ad hoc.
Dans un marché touristique atomisé à l’extrême, l’irruption de l’Internet a radicalement modifié le comportement d’achat des touristes et l’organisation de la distribution. L’emprise des plateformes compromet aujourd’hui la pérennité des destinations et de ses parties prenantes, tandis que l’on constate chaque année une concurrence intense entre OGD pour des actions promotionnelles onéreuses, sans véritable ciblage en fonction des particularités temporelles et spatiales de la demande. Tiers de confiance naturels des destinations, seuls les OGD sont en mesure d’incarner et construire une intelligence touristique au service de celles-ci.
Membre d’Excelia Group, groupe d’enseignement supérieur composé de 5 écoles spécialisées en Business, Tourisme, Digital, Academy et Executive Education. La Rochelle, Tours, Niort & Abroad.
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Aujourd’hui, gérer un hôtel, c’est se retrouver au cœur d’une véritable tempête économique et concurrentielle. Les hôtels évoluent dans un environnement féroce, où des géants de la distribution et des plateformes de réservation en ligne dominent le marché. Ces acteurs puissants ont redessiné les règles du jeu, forçant les hôteliers à s’affronter les uns les autres pour chaque client. La bataille est rude, et le coût de la visibilité ne cesse de croître.
Ajoutez à cela la pression financière et actionnariale pour obtenir des résultats rapides et rentables. Les marges sont minces, les coûts de distribution explosent, et le retour sur investissement devient incertain. Ce climat tendu laisse souvent les hôteliers désorientés, manquant de repères et de solutions durables pour tirer leur épingle du jeu.
Pourtant, derrière chaque établissement, il y a des hommes et des femmes qui créent la véritable valeur. Ils mettent leur cœur et leur passion dans l’accueil des clients, dans l’expérience qu’ils offrent.
Mais cette valeur humaine, cet investissement émotionnel, combien vaut-il vraiment dans un monde où les chiffres semblent primer sur tout le reste ?